La Grosse Aventure du Pays des Iles
Les pêcheurs basques poursuivaient les baleines depuis le golfe de Gascogne jusque dans les parages de Terre-Neuve et ce, depuis le début du XVIe siècle. Ils avaient également découvert la richesse des bancs de morues, suivis en cela par leurs collègues normands et bretons, ainsi que certains Rochelais. En 1534, Jacques Cartier avait croisé nombre de leurs bateaux, en allant planter la croix sur les rives du Saint-Laurent, à la demande de François Ier.
Ce fut avant tout une affaire de profit, lié au sel, qui décida les gens d’ici à suivre leurs traces. Denrée rare et chère (ne lui doit-on pas le nom de « salaire », dédié à l’argent payé pour le travail ?), le sel était produit en grande quantité dans le « Pays des îles », entre Brouage, les îles d’Aix, de Ré, d’Oléron et la Seudre. Les marchands sauniers en avitaillaient les pêcheurs basques et normands et l’idée leur vint ainsi d’armer, pour cette pêche, leurs propres navires et de rechercher, auprès des armateurs et commerçants de Bordeaux et La Rochelle, des prêts en espèces, dits « à la grosse aventure ».
Ainsi débuta pour la Saintonge Maritime, vers 1546, une extraordinaire épopée que l’on a peine à mesurer à sa vraie grandeur. En 1568, selon Marc Seguin, on peut compter 60 navires partis vers Terre-Neuve, depuis les ports de la Gironde et de la Seudre.
Les registres notariaux de La Rochelle (très lacunaires sur le XVIe siècle) et surtout ceux de Bordeaux, donnent des renseignements précis sur les affrètements, le nom des armateurs, ceux des pilotes, capitaines et membres d’équipage, la quantité de denrées, la teneur des équipements et les armes embarquées pour des voyages - dont la durée allait jusqu’à cinq mois -, ainsi que le tonnage de morues rapportées au retour. D’autres documents parlent des aléas de la traversée, des conditions de vie, souvent épouvantables, qui régnaient à bord et des morts fréquentes de membres des équipages.
Guy Binot, citant l’Histoire ecclésiastique, évoque « les gens de marine (de la Seudre), c’est-à-dire presque sauvages et sans aucune humanité, mais au reste fort vaillans et hardis sur mer où ils font de grands voiages jusques aux plus lointains pays et au reste fort fidèles au Roy. »
Certains textes restituent, en effet, la frayeur permanente qui pouvait saisir les marins naviguant dans les brumes, au milieu des icebergs, juste réchappés d’une tempête, traçant leur route avec des instruments rudimentaires, en butte aux croyances et aux superstitions les plus fantastiques, s’attendant à voir surgir de l’obscurité les monstres dont les dessins ornaient les cartes d’une géographie approximative… Mais ils naviguèrent, malgré tout, assurant la prospérité de la Saintonge Maritime, jusqu’à ce que la fortune de France passât aux mains des Anglais, dans cette partie du monde, en 1763.
Et ils participèrent grandement aux premiers échanges commerciaux avec les Amérindiens, à l’occasion de l’installation, sur les côtes canadiennes, des « chaffauds » destinés au séchage et à la préparation des poissons. Les fourrures de castors troquées contre les couteaux, les haches ou les poteries, étaient ensuite vendues à La Rochelle, aux acheteurs des fabriques de chapeaux de feutre, de Niort et d’ailleurs.
Autant de récits d’aventures, propres à nourrir l’imagination et les rêves de Pierre Dugua de Mons et de Samuel de Champlain, dès leur plus jeune âge, qui à Royan, qui à Brouage…