Les Emprunts à "La Grosse Aventure" 1546 - 1585
Afin d’armer pour la pêche à Terre-Neuve, il fallait réunir plusieurs conditions : un navire et son capitaine (on disait « son maître »), un bon pilote, un équipage bien entraîné à la mer, enfin et surtout un armateur (on disait « un bourgeois ») intéressé à réunir les fonds nécessaires. Auprès de ces derniers, « bourgeois » de Bordeaux ou de La Rochelle, les « maîtres » sollicitaient un emprunt dit « à la grosse aventure ».
Les bourgeois s’adressent alors à des marchands spécialisés qui prennent en charge les dépenses de nourriture et d’achat de sel. Il faut du sel pour conserver les morues. Chacun connaît les normes : 3/4 de muid par tonneau de jauge. Un poisson de qualité exige un sel blanc (si possible de l’île d’Oléron, mais le sel de nos marais faisait également l’affaire, à moindre coût).
La nourriture de base ? Le « pain biscuit en fouasse », le vin rouge, le lard. On compte 2 quintaux et 1/2 de pain pour une ration quotidienne de 800 grammes, et une pipe de vin (450 litres) par homme, soit 2 litres 1/2 à 3 litres par jour. Chacun a droit à une « couste de lard », avec des pois (qui sont souvent des fèves), de l’huile, du beurre, du poisson salé, parfois du boeuf et de la chandelle et des bûches.
Le vin rouge est de mauvaise qualité. Il vient souvent du Haut-Pays de Guyenne, rapporté par les barques qui vont livrer le sel à Bordeaux et Libourne. Il vient aussi de l’île d’Oléron, avec le sel. Le biscuit est vendu en grande quantité par les boulangers bordelais et rochelais, mais sans doute aussi par ceux des petits ports ; ce n’est pas pour rien que Nicolas Alain s’émerveille, en 1565, du grand nombre de moulins à vent qui tournent sur les buttes de Meschers.
Parmi les premiers navires répertoriés en Pays Royannais, en 1546, au nombre de ceux qui se hasardent vers Terre-Neuve, sous la conduite de maîtres basques, on note la Marie (80 tonneaux) qui appartient conjointement à Guillaume Roux, marchand de Vaux, Elie Laloué, marchand de Royan, sieur de Foissac, et Jean Devaux, marchand d’Arvert (l’un des premiers calvinistes repérés aux « Isles » par l’Histoire ecclésiastique).
À la suite, des dizaines d’autres navires partirent de nos ports et tentèrent l’aventure, laquelle
s’étant en quelque sorte banalisée, demandait cependant, de la part des maîtres et de l’équipage,
toujours autant de courage et une force peu commune, pour s’embarquer sur des bâtiments
construits, la plupart du temps, pour un trafic de cabotage sur les côtes européennes.
La liste des navires répertoriés donne une bonne idée de l’engouement qui saisit les gens d’ici face aux réussites financières observées, à la suite des premières « aventures ». Certes les risques étaient patents, et si le navire sombrait, la perte était pour le prêteur, mais comme les terreneuviers revenaient (presque) toujours, cette opération assurait d’énormes bénéfices.
D’après Marc Seguin 2005