Lorsque les gens d'ici découvraient l'Amérique
Tout a commencé parce que les baleines avaient quitté le Golfe de Gascogne vers 1536 ! Les Basques les pourchassèrent jusqu'au Groënland et à Terre-Neuve. En chemin, ils rencontrèrent de grandes quantités de morues, un mets fort recherché par suite des obligations de « faire maigre », édictées par l'Église. Ensuite, lorsqu'ils partirent pêcher les morues, ils s'arrêtèrent en Seudre, au « Pays des Isles », afin de s'avitailler en sel, une denrée rare et chère.

Traité Général des Pesches de Duhamel du Monceau, 1769
Médiathèque Michel-Crépeau-La Rochelle
Et voici comment nos marchands sauniers et mariniers saintongeais conçurent l'idée d'acheter et d'armer leurs propres navires pour lesquels ils recherchaient, auprès des commerçants de Bordeaux et de La Rochelle, des prêts « à la grosse aventure »...
Extraordinaire aventure en vérité qui vit, en 1568, jusqu'à 60 navires partir vers le Grand Banc de Terre-Neuve, depuis La Tremblade, Arvert, Mornac, Ribérou, Royan, Meschers, Saint-Seurin d'Uzet, Talmont et Mortagne. Quatre à cinq mois de campagne de pêche, commençant par une traversée de l'Atlantique qui durait de 12 à 50 jours, selon l'humeur des vents. Les conditions de vie en mer étaient effrayantes de précarité : les récits permettent mal de mesurer la vaillance démesurée des marins de cette époque.
Et ce sont eux qui furent parmi les premiers à installer des postes de séchage de morues sur les rives du Saint-Laurent, et à troquer avec les Amérindiens les fourrures de castors, destinées aux chamoiseries de Niort, car c'était la mode des chapeaux de feutre. Henri IV - malgré l'opposition de Sully - comprit très tôt l'avantage qu'il y aurait à implanter, en Amérique du Nord, des installations durables afin de favoriser un commerce lucratif dont les Français auraient le monopole. Pour cela, il encouragea le Royannais Pierre Dugua de Mons, à suivre l'exemple de ses compatriotes, les marins de la Seudre et de la Gironde partant vers l'Amérique. D'autant que Dugua était protestant, ce qui valait brevet pour le roi. Le fait que Dugua eût engagé à ses côtés Samuel de Champlain, le catholique de Brouage, valait également d'être compris à sa juste portée diplomatique.
L'arrivée de nos deux héros en Acadie, en 1604, leur établissement dans l'île de Sainte-Croix d'abord, à Port-Royal ensuite, la création de Québec, en 1608, et ce qui s'en suivit, Champlain se chargea d'en rendre compte en détails, par ses dessins, ses cartes et ses écrits, réunis en « Livres des voyages » qui acquirent très vite une grande renommée. Il y eut enfin, et ce ne fut pas la moindre conséquence de l'entreprise, la rencontre avec les premiers habitants de l'Amérique du Nord, les Amérindiens.
Ces derniers - ni anges ni bêtes, au-delà des points de vue contradictoires exprimés par les explorateurs, les missionnaires et les historiens - offrirent, aux nouveaux arrivants, une culture originale, accomplie, en symbiose avec un pays dont les excès climatiques n'étaient périlleux que pour les Européens. Il fallut s'adapter, coopérer, lutter, s'unir, échanger. Pas sans mal et sans dommage. Mais la Nouvelle-France naquit, dans le courage, la naïveté, la persévérance, les échecs et la détermination. 400 ans après, il y a, là-bas, un peuple qui parle français et honore les lieux de mémoire des premiers jours, lorsque Dugua de Mons et Champlain prenaient la suite des anciens marchands sauniers et mariniers saintongeais...
Bernard Mounier