Sur les terres du seigneur de Mornac
Églises classées : Breuillet, Mornac-sur-Seudre.
Églises en partie romanes : Arvert, Chaillevette.
Églises non classées : Étaules, La Tremblade, Les Mathes.
Église disparue : Saint-Symphorien de Dirée.
Prieurés disparus : La Garde à La Tremblade, La Petite Couronne à Ronce-les-Bains,
Saint-Nicolas à Mornac, Notre-Dame de l'îsle en Arvert.
La châtellenie de Mornac, du XIe au XIIIe siècle, s'étend le long de la rive gauche de la Seudre, jusqu'à la « mer océane ». Au sud, nous trouvons le vaste golfe marin du Barbareu qui communique avec la Gironde. Une grande forêt de chênes couvre le plateau calcaire. En 1079, le seigneur de ces terres est Hélie de Mornac. A l'occasion de l'entrée en religion à l'Abbaye-aux-Dames de sa fille Hilaire, il lui procure une dot monastique révélatrice des ressources économiques contemporaines :
La tierce part d'un moulin, avec toute la dîme, la tierce partie de la pêcherie du même moulin et le droit d'y pêcher une nuit durant laquelle la plus grande quantité de poissons semblera pouvoir être prise ; une pêcherie dans le Barbareu ; dans la forêt de Salis, l'abbesse choisira un oiseleur pour prendre les oiseaux qui lui seront les plus utiles, et dans la même forêt de Salis, chaque année, le droit de pâture pour mille porcs, et autant de glands que pourront ramasser douze hommes ; aux Gorces, 45 aires de marais salants ; à Arvert, le don en propre à l'abbaye de Sainte-Marie de deux serfs avec tout le matériel nécessaire et deux quartiers de vigne.

Mornac-sur-Seudre : vue d’avion
Cultures de céréales et vignes sur les terres défrichées, élevage de porcs, alimentation par la pêche et la chasse, récolte du sel sur la Seudre, moulin à marée : ainsi apparaissent les paysages et l'occupation du sol en cette fin du XIe siècle dans la châtellenie de Mornac.
Le passage du pape Urbain II prêchant la première croisade, en 1096, est l'occasion pour bien des religieux d'obtenir une audience au cours de laquelle ils demandent la confirmation de leurs biens temporels et de leurs privilèges. C'est ainsi que nous apprenons que le prieuré Saint-Nicolas de Mornac, desservi par des chanoines, possède « les églises Saint-Pierre de Mornac, Saint-Étienne d'Arvert, Saint-Cyr des Mathes, et Saint-Pierre de Chaillevette, avec la dîme de cette paroisse ». Ce prieuré Saint-Nicolas de Mornac possède aussi des marais salants et il passera en 1141 sous l'autorité des chanoines de Saint-Ruf de Valence.
Il ne reste rien de ce prieuré jadis si prospère, par contre les églises d'Arvert et de Mornac-sur-Seudre méritent une visite : l'une pour deux « figures » de sa façade, l'autre pour son plan cruciforme complet et impressionnant, sa magnifique abside semi-circulaire finement ouvragée, ses chapiteaux historiés et la coupole elliptique sur trompes sous son clocher carré. Le village enroulé autour du château à l'intérieur des remparts, le clocher fortifié, les halles, le port, le moulin à marée, les rues étroites confèrent à Mornac-sur-Seudre un cachet historique indéniable. Les vestiges de la forteresse médiévale dominent les fossés, le port et le marais aménagé en claires à huîtres, métamorphose des marais salants.
L'ancienneté du bourg d'Arvert est attestée par le choix du saint patron de l'église (dédiée à saint Etienne) et par l'implantation de l'archiprêtré décidée par les Carolingiens dans les cités où siégeait une viguerie, cour de justice garantie ou non par un château et son châtelain. Le tout puissant seigneur de Mornac entretient de bonnes relations avec les religieux qui prient pour le salut de son âme.

Arvert : détail de la façade
Il assure la sécurité et garantit les biens avec son droit de haute justice qu'il exerce régulièrement en « tenant sa cour » en son château de pierre avec donjon. Il perçoit les revenus du four banal et la « coûtume des poissons de mer pris sur tout son territoire », sauf les esturgeons, saumons, baleines, marsouins et autres gros poissons de mer qui lui reviennent de droit, ainsi qu'une taxe sur les ventes réalisées sous les halles, aux portes de la ville.La forêt médiévale est indispensable à la vie économique. Le seigneur y chasse les bêtes sauvages dangereuses pour la population et néfastes aux récoltes.

Mornac-sur-Seudre : détail du chevet
Mais il autorise les manants de ses paroisses et les moines à y pénétrer pour prendre le bois mort pour le chauffage, les arbres pour les constructions et l'outillage, la récolte des fruits, le pacage des troupeaux, notamment des porcs. Les futaies succèdent aux landes et aux marécages, les essences sont variées ainsi que la nature des sols. Le seigneur autorise des défrichements en accueillant des colons : on parle bientôt de domaines. Si la population est assez nombreuse, se construit alors un sanctuaire à l'initiative d'un gros ou de plusieurs riches propriétaires qui bénéficieront de la dîme pour l'Eglise. On trouve ainsi, en 1228, dans le cartulaire de la Garde, le maine « d'Estaulos », première mention du village d'étaules, et en 1233, dans l'église Saint-étienne d'Arvert, l'affranchissement par Robert de Sablé, seigneur de Matha et de Mornac, du serf Benoît Favre qu'il autorise « à construire sa maison partout où il voudra sur une terre d'homme d'église ou séculier ».
En 1096, est mentionnée l'église de la paroisse de Saint-Pierre de « Chalaveda » dont la dîme est perçue par le prieuré Saint-Nicolas de Mornac. Le port de Chaillevette se trouve à l'extrémité d'un canal creusé par les moines pour évacuer l'eau du Barbareu, le canal de la Mer, qui coupe le chemin qui va de Breuillet à Arvert.
La motte féodale de Fossat barre la route, percevant un péage sur le pont de la Barbecanne qui enjambe le canal de la Mer au lieu-dit actuel de Fond-Sac. Un peu plus en aval se dressait le puissant château de Beauregard, dominant la rive gauche de la Seudre et le chemin le reliant à la motte de Fossat « sur le canal de la Mer qui sépare l'île d'Arvert d'avec la terre ferme ». Le château de Beauregard, rasé au XIXe siècle, a été miraculeusement réhabilité par Bernard Tastet dans son ouvrage « Chaillevette et les côtes de Saintonge ».

Bénitier de Notre-Dame de Buze, Les Mathes
Aléard, seigneur de Mornac, avait attribué à deux ermites, Hugues et Jean, « le lieu qui est appelé Buze, les terres, l'église, le lieu où fut le moulin et autres biens ». En 1121, il confie ce territoire aux moines de Cluny qui possèdent déjà l'église Saint-Sauveur de Breuillet. L'église de Buze a été victime de l'ensablement avec « les dunes qui marchent en Arvert ». Il subsiste aujourd'hui, dans la forêt de La Coubre, une butte de sable au sommet de laquelle demeurent quelques fragments du dallage de l'église, parmi lesquels on a trouvé des deniers d'argent. On peut cependant voir à la mairie des Mathes un fût de colonne cannelée, authentique bénitier massif de l'église disparue de Buze. La paroisse des Mathes, dont l'église est dédiée à saint Cyr, a un toponyme d'origine gauloise : une hauteur entourée d'eau, comme l'île qu'elle constituait dans le golfe de Barbareu.


Deux termes phonétiquement voisins dérivent de deux situations analogues : les mottes castrales, buttes naturelles ou artificielles surmontées de constructions fortifiées, et les mattes, jardins maraîchers aménagés dans la tourbe fertile des terres douces drainées.
Ce terme est attesté en 1200 dans le Cartulaire de Vaux,
« ortos qui appellantur mates » (jardins qu'on appelle mattes).
Vous pouvez rechercher à pied la colline de Buze dans la forêt domaniale, près du phare de La Coubre, mais vous compenserez aisément la disparition du village en allant admirer la magnifique façade de l'église de Breuillet, dédiée aujourd'hui à saint Vivien, dont la longue nef se prolongeait par le prieuré.
Elle offre un admirable portail orné de motifs géométriques, encadré de deux courtes arcades aveugles (l'une en partie masquée par un malencontreux contrefort), surplombé d'une délicate arcature à neuf éléments, couronnée au 2e étage d'un oculus et de deux imposantes arcades aveugles.
L'ordre de Cluny, fondé en 910 par Guillaume le Pieux, premier duc d'Aquitaine, a joué un rôle déterminant dans la réforme de la discipline des monastères et dans la construction ou reconstruction d'églises et de basiliques sur les chemins de Compostelle. Cet ordre soutenait activement la reconquête sur les musulmans en Espagne, avec l'aide du bras armé des ducs d'Aquitaine, notamment Gui-Geoffroi, vainqueur à Barbastro en 1063. Celui-ci donne à l'ordre de Cluny l'église de Montierneuf à Poitiers et le prieuré Saint-Eutrope à Saintes en 1081.

Breuillet : façade de l’église Saint-Vivien
L'église Saint-Eutrope sera construite spécialement pour accueillir les pèlerins autour des reliques du saint, et sera un relais incontournable sur la Via Turonensis vers Compostelle. De nombreuses églises seront influencées par la magnifique absidiole de la nef nord de Saint-Eutrope et l'iconographie des chapiteaux de la croisée de transept (chevets de Vaux-sur-Mer, Mortagne, Talmont et Arces-sur-Gironde). Par exemple, le thème de la Pesée des âmes au Jugement dernier est visible à Saujon et Arces-sur-Gironde.
Au cours du XIe siècle a lieu une nouvelle vague de fondations monastiques, prônant plus de simplicité et d'austérité dans la vie religieuse et l'architecture. Ce sont les Cisterciens, les Chartreux et aussi les Grandmontains, méprisant les biens temporels, refusant de bâtir en dur et de tenir des registres. Heureusement que les frères du prieuré Notre-Dame de la Garde de l'ordre de Grandmont ont confié à l'écrit leur acte d'installation, à la demande de dame Audéarde et de son mari, Gombaud de Mornac, gardant ainsi le témoignage de toutes leurs donations, contestations, réconciliations de 1195 à 1342. Ils sont à l'origine de la ville de La Tremblade, dans une clairière de « la forêt de Salis, sur une terre couverte de brandes, au bord d'un marais ».
Ils percent le canal du Petit-Pont qui élimine les eaux du Barbareu, creusent des fossés pour alimenter des moulins à marée, établissent des pêcheries, construisent et clôturent les moulins, édifient les digues (les taillées, confectionnées comme aujourd'hui encore avec des pieux de bois fendus), conquièrent les terres salées (les prises de marais), cultivent les terres douces, défrichent les brandes.

L'invasion des sables à Maupertuis
En 1226, Robert de Sablé, seigneur de Matha et de Mornac, concède aux frères de la Garde le fossé du Petit-Pont et le marais pour y construire un moulin à farine ou à drap, et accorde le droit de détourner vers ce moulin l'eau du marais du Barbareu, plus le droit d'exploit dans la forêt de Salis pour construire et réparer les moulins, construire les logements des ouvriers et le chauffage. En 1228, le moulin est construit à Temledam. En 1287 apparaît Trembledam et en 1301, on trouve des ports à La Trembleda. Près des frères de la Garde de l'ordre de Grandmont, sont installés les chanoines de la Petite Couronne en Arvert, eux aussi protégés par le seigneur de Mornac.
Ces chanoines n'ont pas de chance car leur moulin de Disail manque d'eau ou est pris sous les sables. Ils ont beau entreprendre de grands travaux, murer le fond du ruisseau sous le moulin, charrier de la terre, détourner les étiers et les monards, ils sont obligés de déplacer leur moulin, ce qui porte préjudice aux frères. Le procès qui s'ensuit dure sept ans, entraînant l'arbitrage de l'évêque et du comte de Poitiers, de l'archevêque de Bordeaux et du Pape. Cela nous renseigne sur « les salines et le marais qui va de l'étier du Putet jusqu'à la chaussée du moulin de Disail », et l'on essaie de retrouver « le chemin qui va du moulin de Disail au pré de Maupertuis, de là par le mont Rega jusqu'à la pointe de la Vingasa et de l'autre côté jusqu'au Palatreu ». Des vestiges du prieuré de la Petite Couronne ont été trouvés à Ronce-les-Bains. L'abbaye de la Couronne se trouvait près d'Angoulême.
A la suite des alliances matrimoniales et des héritages, des seigneuries ont parfois changé de suzerain ; au XIVe siècle, la seigneurie de Royan relève du seigneur de Matha, châtelain de Mornac. C'est ainsi que Ranulphe Peyron, chevalier, seigneur de Fouilloux en Arvert, prête foi et hommage lige à Foulques de Matha, seigneur de Royan avec ce devoir :
Chaque fois que l'épouse du dit seigneur aura accouché et fera ses relevailles des couches d'un enfant mâle dans l'intérieur de ladite châtellenie de Royan, je suis tenu conduire ladite dame à l'église le jour où elle se lèvera pour la purification et la soutenir sous l'aisselle droite et la ramener ainsi dans son logis, moyennant quoi je dois manger avec elle, au haut de sa table.
Mission de confiance pour un solide chevalier !