Les « Magiciens » de l'estuaire
et leurs tours de passe-passes
Sur notre rive santone alternent cordons de sable, falaises calcaires ou marais poldérisés. Pour le voyageur occasionnel ceci semble immuable. Ce n'est qu'illusion. Le trait de côte et les bancs de sable ont ici l'humeur vagabonde. Les forces en présence sont impressionnantes. Trois courants puissants, Maumusson au Nord qui déverse les eaux du coureau d'Oléron, la Gironde vidant Garonne et Dordogne au Sud et l'Océan Atlantique, sans obstacle devant lui, à l'Ouest, s'affrontent en charriant les milliards de tonnes de sable accumulés. Vue du ciel, l'embouchure terminée par la baie de Bonne Anse dessine un point d'interrogation, comme un aveu d'impuissance de la côte et des hauts-fonds à déterminer leur implantation définitive.
Les traditions orales et écrites, colportées depuis la nuit des temps, nous préviennent que «les montagnes bougent en Arvert», mais la rapidité avec laquelle ce mouvement s'effectue nous stupéfie. Cette instabilité chronique a contraint les riverains à imaginer une consolidation de ses berges et l'installation d'un balisage sophistiqué, sans cesse revisité. On équipa le secteur d'amers à terre pour guider les navires. Beaucoup ont disparu subsistent le vieux clocher de Saint-Palais-sur-Mer, la pyramide de Barzan ou la tour de Beaumont, sise sur la commune voisine de Saint Romain-sur-Gironde (cette dernière baptisée Saint-Romain-de-Beaumont jusqu'en 1956).
Cette mouvance provoqua son cortège de drames, naufrages et autres échouements. Le risque est certain, mais l'audace des marins souvent plus forte. Ainsi au IXe, les Vikings s'engagèrent malgré tout, dans cette voie navigable pour commettre quelques rapines. Ils ne furent pas toujours vainqueurs comme semblent le démontrer les ancres de pierre retrouvées dans l'anse de Saint-Sordelin, à Vaux-sur-Mer, laissées là, à la hâte, face à une résistance des locaux à laquelle nos Normands ne semblaient pas habitués.
Les entrées actuelles dans nos eaux sont moins belliqueuses, elles n'en demeurent pas moins risquées et ne s'improvisent pas. N'oublions pas que face à La Coubre se tapit le Banc de la Mauvaise, au toponyme suffisamment évocateur, pour calmer les ardeurs.