Epaves ayant fait couler beaucoup d'encre,
épaves ancrées dans les mémoires
Certaines portions de notre littoral sont très fréquentées mais peu fréquentables. Elles s'illustrent au cours des âges, se forgent une sérieuse réputation, deviennent tristement célèbres en provoquant un nombre impressionnant de naufrages, d'échouements aux conséquences plus ou moins dramatiques.
Notre secteur appartient malheureusement à cette catégorie, et en comptabilise des centaines. Tout concourt à cette situation. Les déferlantes se gorgent ici du sable accumulé en grande quantité. Les bancs, avec une fâcheuse tendance au nomadisme, interdisent une navigation reposant seulement sur une expérience ancienne sans actualisation. Le courant puissant, couplé parfois à un vent contraire, lève un clapot meurtrier et les falaises proches démantèlent les navires en difficulté s'approchant trop prés.
Vouloir relater de manière exhaustive ces histoires, serait trop macabre et occulterait les nombreux bords tirés dans ce paysage splendide où alternent falaises, cordons dunaires, criques ou conches au sable blond à la finesse incomparable. S'aventurer ici est possible lorsque les conditions le permettent, avec des équipages informés, naviguant sur des bateaux correctement entretenus, sinon...
Echouement de l'Aquitaine
Epave à Meschers-sur-Gironde
Dans les parages de Meschers et Talmont, deux bateaux ont gravé leur nom dans la mémoire collective. Tous deux, sabordés par leur équipage, ont ainsi évité une capture par l'ennemi.
Le premier, le Régulus, commandé par le Capitaine de frégate Barère, était un vaisseau de ligne de la marine napoléonienne, équipé de 82 canons. Il est mis en service en 1805, chargé en 1813, de protéger l'entrée de l'estuaire aidé des bricks Java, Malais et Sans-souci. Mais bloqués par une escadre anglaise, en avril 1814, ils sont contraints de mouiller devant Meschers. Pour qu'ils ne tombent aux mains des Britanniques, le capitaine de vaisseau Jacques Mathieu Regnauld donne l'ordre de les incendier. Ils vont se consumer devant les falaises calcaires abritant plusieurs grottes creusées et l'une d'elles sera baptisée Régulus pour perpétuer le souvenir de cet acte de bravoure.
Le second a été sacrifié non loin de là, mais pour cette fois-ci échapper aux Allemands. La capitulation de la France venant d'être annoncée, ce cargo de la Compagnie des Bateaux à Vapeur du Nord, de 3 713 tonnes, a coulé le 25 mai 1940. Construit en 1932 par la Furness Shipbuilding Company d'Haverton Hills on Tees, l'Amiénois, armé à Dunkerque, transportait dans ses flancs des équipements qui auraient pu être interceptés et compromettre la cessation des combats. Son épave, dont quelques éléments sont encore visibles à marée basse, a longtemps inquiété ceux qui naviguaient dans le secteur. Aujourd'hui balisée par une bouée cardinale, elle ne représente plus un danger, mais rappelle cette période agitée.
Goëlette "Reine Victoria" échoué devant les falaises de Meschers-sur-Gironde
Le souvenir de quelques naufrages a depuis longtemps disparu pour un grand nombre d'entre nous, seule la toponymie locale tente de les soustraire à l'oubli.
Ainsi la Pointe du Rhin, encerclant Bonne Anse, relate le naufrage de ce cargo vapeur, construit en 1921, dans les chantiers navals de Caen. Bateau de 4 700 tonneaux, avec lequel le capitaine Boncoeur naviguait pour le compte de l'armement Delmas frères et Vieljeux de La Rochelle. Dans ses soutes, des fûts de vin d'Algérie à destination de La Rochelle et Bordeaux, mais aussi du phosphate embarqué à Bône (actuellement Annaba en Algérie) pour la Société Union Française. Faute d'avoir pu embarquer le pilote venu à sa rencontre pour le diriger dans les passes, le bateau s'échoue, le 8 octobre 1924 et se coupe en deux. Heureusement les 28 hommes d'équipage furent sauvés en regagnant la côte à bord des embarcations de secours.
Autre catastrophe, sans victime, celle du paquebot Flandre. Construit en 1914, aux Chantiers et Ateliers de Penhoët, ce navire acier de 140 m est affecté sur la ligne du Mexique, puis sur celle reliant Saint-Nazaire et Bordeaux aux Antilles. En avril 1940, il participe au transport de troupes lors de l'expédition de Norvège. Le bateau est saisi, au Verdon, par les Allemands qui souhaitent l'utiliser dans leur flottille de guerre. Mais le 13 septembre, dans l'après-midi, il heurte une des mines magnétiques qu'ils avaient répandues en Gironde et s'échoue sur la barre à l'Anglais où l'on peut encore apercevoir certains fragments lors des grandes marées. Une version maritime de l'arroseur arrosé...
Paquebot "Flandre" de la Cie Générale Transatlantique